La Savoie appartient à un domaine linguistique trop souvent méconnu, celui de l'arpitan ou francoprovençal, une langue parlée depuis le Lyonnais jusqu'au sud de la Franche-Comté, ainsi que dans la plus grande partie de la Suisse romande et dans le Val d'Aoste.
Son nom le plus répandu, francoprovençal, inventé au XIXe siècle, sème la confusion dans les esprits. Pourtant, cette langue n'est ni du provençal (autrement dit de l'occitan), ni du français, ni d'ailleurs un mélange des deux, cela va de soi. Elle comprend aussi de nombreux noms d'origine germano-nordique (Burgondes) et celtes (Allobroges). Un certain nombre d'ouvrages récents ont mis en valeur ses traits essentiels, qui permettent de mieux comprendre les caractéristiques phonétiques ou graphiques de nombreux noms de famille.
Sur le plan graphique, des dizaines de noms de localités se terminent par -az ou -oz. Ce z final ne s'est en fait jamais prononcé : il servait à indiquer que le -a des noms féminins et le -o des noms masculins étaient atones, autrement dit que l'accent tonique devait porter sur l'avant-dernière syllabe. Ainsi, un nom comme La Clusaz devrait, à quelques nuances près, se prononcer "la Cluse".
La plupart des noms de famille terminés par -az sont des toponymes (noms de lieux). Ainsi Chappaz, l'un des noms les plus portés en Haute-Savoie, ne désigne certainement pas le porteur d'une cape ou d'un manteau, comme on le lit généralement dans les dictionnaires. Même si la racine est la même que pour "chape" (le latin cappa), c'est un terme désignant une grange, une remise (cf. le hameau de la Chappaz à Magland, en Haute-Savoie). De la même façon Combaz évoque un vallon, Bordaz une ferme, Perrollaz un lieu pierreux, tandis que Detraz et Deletraz, issus du latin strata, désignent la maison située près de la route. Le -z final n'a parfois aucune justification réelle, comme dans Dupraz (= Dupré), où l'accent tonique porte sur la dernière syllabe. Par contre il se justifie dans Servaz (= la forêt), un nom qui présente une évolution phonétique intéressante : le [l] devant consonne s'est transformé en [r].
Parmi les patronymes les plus portés, on trouve pas mal de noms de métiers, avec des particularités phonétiques ou graphiques elles aussi explicables par le francoprovençal/arpitan. Le forgeron s'appelle ici Favre, et non Fabre comme en occitan ou Fèvre comme en français : autrement dit, on a conservé le [a] latin de faber, comme en occitan, mais le b intervocalique s'est transformé en [v], comme en français. Le passage de [b] à [v] se retrouve dans le noms Lavorel (= laboureur). Sans chercher à approfondir les règles phonétiques, on remarquera que le meunier devient en Savoie Mugnier, que le charpentier s'appelle Chappuis et le tisserand Tissot. Un autre nom savoyard très répandu, Métral, évoque pour sa part la fonction de bailli, représentant du seigneur dans le village.
Revenons à la toponymie avec quelques noms typiques du francoprovençal/arpitan : ainsi Mollard (variantes Molard, Dumolard) désigne alternativement les bonnes terres ou un talus fertile, Perrier et Murgier un tas de pierres, Dunand une vallée, un ravin (penser à Nantua dans l'Ain), Ducret un sommet montagneux, Chavanne une cabane.
Bien entendu, de nombreux noms de personne (ou prénoms) figurent au rang des patronymes les plus répandus. C'est le cas en Haute-Savoie pour Baud, issu du germanique Baldo (racine bald = audacieux), l'influence germano-nordique se retrouve dans des noms tels que Taninge, Decurninge, Samoens, Bornens, Brand, et Germano-celtique comme dans Charvaz ou Charvet (racine creuser = tailleurs de pierre, bâtisseurs), mais pour Gay, il faut sans doute le rattacher au latin Caius.
Ceci nous amène à évoquer une autre particularité savoyarde, les noms de famille composés. Dans un pays de vallées coupées les unes des autres, on s'est retrouvé dans chaque village avec des dizaines de familles portant les mêmes noms, qu'il a bien fallu différencier les unes des autres par l'ajout d'un second élément, surnom ou nom de l'épouse selon les cas. Il suffit de s'arrêter dans un village devant le monument aux morts pour constater la fréquence du phénomène. Un exemple avec le nom Blanc, l'un des plus répandus en Savoie : parmi les noms les plus courants, on notera Blanc-Garin, Blanc-Gonnet, Blanc-Pattin, Blanc-Tailleur, Blanc-Talon, Blanc-Travaillon. Le phénomène est également fréquent en Dauphiné et en Franche-Comté, ainsi que dans les Pyrénées, un autre pays de vallées.
En Savoie, à l'époque moderne, un patronyme sur trois est composé. La pratique n'est pas définie. Un Claude Pellet Gallay s'appellera tantôt Claude Pellet, tantôt Claude Gallay, tantôt Claude Pellet Gallay, tantôt Claude Gallay Pellet, avec toutes les variantes orthographiques imaginables. Les deux noms sont parfois séparés du mot dit ou dict. Il arrive que certains patronymes à doubles noms deviennent tellement fréquent que certaines branches prennent un nom supplémentaire, dans ce cas il remplace vite l'un des autres noms. Un Pellet Gallay dict Bourgeois va devenir Pellet Bourgeois.
Il arrive que cette prolifération d’homonymes rende les identifications et les reconstitutions des familles hasardeuses, voire impossibles si l’épouse et mère des enfants porte elle aussi un double nom.
Ces dangers de confusions entre individus se doublent des risques d’erreur de générations, le port d’un même prénom dans les lignages étant la règle, soit de père en fils, mais aussi d’oncle à neveu, en vertu de l’attribution systématique aux enfants du prénom de leur parrain ou marraine.
Au milieu du XVIIIe siècle, les curés et l’administration optant en souvent pour le deuxième nom. Mais nombre de doubles noms ont subsistés.
En dehors de l’évolution du double nom, le patronyme d’une famille peut connaître des changements notables.
Parmi les cas les plus fréquemment relevés, citons :
Seules de laborieuses vérifications de cohérence de date dans la biographie des individus, permet de les individualiser ou de regrouper les données qui les concernent. Dans ce maquis patronymique roturier, les avant-noms permettent parfois de trancher. Sur les documents, on trouve :
L’absence d’avant-nom signe l’appartenance aux classes populaires, sans omettre de citer le méfiant le nommé, attribué à ceux dont on ne sait rien ou pas grand chose.
Sources: http://www.savoie-archives.fr, http://fr.wikipedia.org